vendredi 18 avril 2008

Fragile est l'écrivain/ 2

L'écrivain est un homme ordinaire, peut-être un peu plus sensible, et les hommes trop sensibles sont toujours plus fragiles. L'écrivain ne s'exprime ni en porte -parole d'un peuple, ni en incarnation de la justice; sa voix est forcément faible, cependant c'est précisément la voix de cet écrivain là , qui est authentique.
Si la littérature préserve sa raison d'être et ne devient pas un instrument de la politique,on ne peut que revenir à la voix de l'individu, puisque la littérature naît d'abord des sensations de celui-ci et prend forme à partir de leur expression.
...Si la littérature chinoise du XXe siècle s'est retrouvée exsangue, au point de presque disparaître, ce fut précisément parce que la politique dominait la littérature, que révolution littéraire et littérature révolutionnaire plaçaient, l'une comme l'autre, la littérature et l'individu dans une situation désespérée.*
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L'écriture, lorsqu'elle oblige à une très grande lucidité conduit souvent à une introspection douloureuse. Se pose t-on les bonnes questions ? Ce geste initial d'écrire s'il introduit une sincérité vis à vis de soi-même, n'a de cesse de cesse de diluer les mots, d'éluder leur sens, comme s'il voulait s'échapper d'une condition irrémédiablement précaire.
L'acte d'écrire est un mouvement de révolte ultime contre l'angoisse, ce dernier refuge où il se passe encore quelque chose. De se sentir une nouvelle fois en vie.
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*Extrait de "La raison d'être en littérature " / GAO XINGJIAN

jeudi 17 avril 2008

La raison d'être en littérature / 1

Messieurs les Académiciens, je vous remercie d'avoir récompensé la littérature avec ce prix Nobel, vous l'avez donné à une littérature qui n'a pas échappé aux souffrances du genre humain, qui n'a pas échappé à l'oppression politique, mais une littérature qui est restée irrémédiablement indépendante, refusant son asservissement.Je vous remercie d'avoir donné ce prix le plus prestigieux à des oeuvres éloignées des manipulations du marché, qui n'ont pas attiré l'attention, mais qui méritent d'être lues.
En même temps, je remercie l' Académie suédoise de m'avoir permis de me trouver à cette tribune vers laquelle les regards du monde entier sont tournés, de m'avoir écouté, d'avoir laissé un individu fragile faire entendre une voix faible et discordante que l'on entend pas d'habitude dans les médias.
Je pense cependant qu'il s' agit bien là de l'objectif du prix Nobel de littérature.
Merci à vous de m'avoir donné cette occasion.
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Ainsi se termine le discours de Gao Xingjian, prononcé à Stockholm lors de la réception de son prix Nobel de littérature.
"Je ne sais si c'est le destin qui m'a poussé à cette tribune" en est la première phrase... Mais j'y reviendrai.
(à suivre )